Plus d'un mois après la cessation des hostilités, les ravages sont toujours visibles, tant dans le paysage que chez les gens, tous affectés d'une façon ou d'une autre par cette guerre incompréhensible. Les décombres, la marée noire, les centaines de milliers de sous-munitions, plus dangereuses que des mines antipersonnel et qui continuent aujourd'hui à tuer et mutiler, les déplacés qui ne peuvent pas rentrer chez eux, les émigrés qui ne veulent pas... Tant de traces qui seront difficile à effacer, surtout que le pays, peuple et classe politique, est divisé.
J'ai vécu cette guerre à distance. J'étais en France, me préparant à défiler sur les Champs-Élysées le 14 juillet. Ma mère devait venir le 13, mais ce matin-là l'aviation israélienne a bombardé l'aéroport. Le 14 matin, je disais ma colère à quelques cadres militaires de l'École, espérant que, comme chaque fois, toute cette histoire serait vite finie.
Mais la barbarie israélienne n'a pas de limite, et sévissait toujours lorsque j'ai pris l'avion pour l'Équateur le 19. Là-bas, je n'avais accès aux nouvelles qu'en fin de semaine, et chaque visite au cyber café apportait son lot de morts, destructions, fanfaronnades des deux camps, silence coupable et honteux de la communauté internationale, refus criminel des USA (et des Anglais, mais pouvait-il en être autrement) d'un cessez-le-feu.
Entretemps, l'État Hébreu ciblait aéroports, ports, ponts, autoroutes, quartiers résidentiels, usines de produits alimentaires, centrales électriques, stations service, écoles, hôpitaux, convois de réfugiés, camions d'aide humanitaire, poste de la FINUL (Force Intérimaire des Nations-Unies au Liban). Quand on pense que Tsahal signifie Forces de Défense Israéliennes et que l'opération Punition Adéquate (sic) était justifiée par les USA comme légitime défense... Sans oublier bien sûr l'utilisation d'armes non conventionnelles: phosphore, sous-munitions et autres joyeusetés destinées à infliger un maximum de souffrances.
Je pourrais m'étendre beaucoup plus, mais l'idée est simple: rien ne justifiait cette destruction barbare et programmée d'un pays. Rien sinon la jalousie d'Israël devant la renaissance du Liban, son modèle de coexistence communautaire qu'il rejette par peur de l'appliquer chez lui, son message de paix et de convivialité alors que le seul message qu'ait jamais véhiculé l'État Hébreu est un amalgame de violence, d'usurpation, de victimisation. Je cite d'ailleurs les protagonistes israéliens de cette guerre, en vrac "le Liban sera ramené vingt ans en arrière", "Beyrouth sera détruite" ou encore le chef d'état-major, sur ce qu'il ressentait lors du bombardement de zones civiles: "je ressens une légère secousse à l'aile de l'avion au moment du largage de la bombe, puis plus rien". Charmant.
Et bien sûr, Israël ne paiera pas un sou pour les 1300 victimes, en majorité civiles, pour les 15 milliards de dollars de dommages matériels et économiques infligés. "Dommages collatéraux". Alors que toutes les organisations humanitaires s'accordent pour dénoncer les crimes de guerre de Tsahal, Israël ne sera jamais inquiété par les tribunaux internationaux. Pas plus qu'il n'est inquiété au sujet de son programme nucléaire qui est un secret de polichinelle.
Je craignais que ce post ne se transforme en diatribe contre Israël. On ne peut que s'emporter face à tant d'injustice, face au soutien américain permanent et inconditionnel dont le "51e état de l'union" bénéficie, face à la politique de deux poids, deux mesures qui caractérise l'approche de la situation au Proche-Orient. Je n'exonère en aucun cas les exactions commises à l'encontre d'Israël, les tirs de roquettes, les attentats suicides, mais la responsabilité de freiner le cycle de la violence incombe aux deux parties, et surtout à Israël qui est en position de force sur le terrain et s'emploie à créer un état de fait accompli en poursuivant la colonisation, et n'a réussi, par son arrogance et son agression criminelle sur le Liban, qu'à attiser les extrémismes et la haine à son égard.
J'avais des espoirs de paix après la défaite du Likoud, le ralliement de Shimon Peres et l'entrée des travaillistes au gouvernement. Ils se sont envolés avec cette guerre où tous ont montré un visage de faucon sanguinaire. Qu'un prix Nobel de la paix, vice-premier ministre, soutienne cet acte de barbarie, cela me dépasse. Je viens d'achever la lecture de "60 ans de conflit israélo-arabe : Témoignages pour l'Histoire", d'André Versailles, dans lequel il s'entretient avec Shimon Peres et Boutros Boutros-Ghali. On voit après coup la différence entre le Peres travailliste et celui de Kadima. Même si travailliste ne rime plus avec pacifiste (ou au moins modéré), en témoignent les positions du ministre de la défense Amir Peretz durant la guerre.
Et si au moins on pouvait s'unir en face. Mais non, la classe politique libanaise reste scindée, minant ainsi tous les efforts de reconstruction et de développement. Quant aux Arabes, n'en parlons pas, ils n'ont jamais su parler d'une seule voix, et si jamais ils l'ont fait, ils n'y ont jamais joint le geste. De l'importance de la rhétorique dans la culture orientale...
Sur ce constat d'échec, je mets fin à mon sombre monologue, en comptant plus sur le temps et la volonté de vivre du peuple que sur l'initiative des dirigeants pour panser les blessures du Liban.